Ces dernières années, les usages des internautes ont entraîné une redistribution des places dans le secteur du retail, favorisant la montée en puissance du e-commerce et l’explosion des marketplaces. Aujourd’hui, la moitié du top 20 des sites marchands a développé sa place de marché. La progression exceptionnelle de ce modèle, +18% de volume d’affaires réalisé en France sur les marketplaces du panel iPM Fevad en 2016 vs 2015, bouscule les positions établies et impose des adaptations de structure et d’organisation pour les retailers.
L’arrivée des pure players sur le marché du retail
Les marketplaces réinventent la distribution en s’affranchissant de ses contraintes physiques en termes d’espace et de temps, proposant une offre à l’horizontalité et à la profondeur illimitées. Les difficultés rencontrées par les retailers traditionnels sont d’autant plus fortes que la croissance des nouveaux modèles est rapide. La faillite de Toys’R’Us en mars 2018 en est une illustration : virage numérique mal anticipé avec un chiffre d’affaires en ligne (5 à 8% selon les pays) six fois inférieur à la PDM du e-commerce sur le marché du jouet, offre trop restreinte sur les loisirs numériques, communication démodée, ciblage approximatif et expérience acheteur en magasin sans valeur ajoutée. Dans le secteur du jouet, la perte d’intérêt pour les magasins se confirme avec la Grande Récré qui vient d’annoncer la fermeture prochaine d’une cinquantaine de boutiques en France.
Pour 2015 déjà, la FEVAD annonçait 6000 fermetures de magasins en France chez les top retailers. Aux Etats-Unis 15% à 50% des Malls devraient fermer leurs portes à l’horizon 2030.
Cependant, il semblerait que, si cette révolution digitale impacte frontalement le retail, posant la question des limites de la dématérialisation et la désintermédiation, on assiste à l’installation d’une nouvelle concurrence qui révolutionne le paysage des boutiques physiques : les pure players ouvrent leurs Brick and Mortar utra-connectés à l’image d’Alibaba qui souhaite lancer son More Mall – un centre commercial ultra connecté de 40 000m2, des supérettes sans caisse Amazon Go à la pointe du Machine Learning et de l’IA ou encore de Spartoo, qui s’apprête à acquérir André, le chausseur centenaire en 2018 et effectue un pas de géant dans l’univers de la boutique physique.
L’objectif : créer la synergie avec la place de marché, élargir la base et générer une vraie préférence de marque.
Dans ce contexte, les retailers traditionnels doivent s’adapter pour répondre à des enjeux de parts de marché, de largeur gamme, de diversification, et d’expérience utilisateur. Nous allons voir de quelle manière des acteurs français du retail ont décidé de s’adapter en devenant « Click and Mortar » et en intégrant le modèle marketplace à leur e-commerce, proposant ainsi des parcours « phygitaux » uniques grâce à l’omnicanal, la notoriété, l’adhésion des équipes internes et la force de leur réseau.
La marketplace pour reprendre des parts de marché
Les retailers traditionnels, Brick and Mortar, ou possédant déjà un e-commerce, intègrent de manière croissante le business model marketplace pour reconquérir des PDM. Ils misent sur la puissance de leur image et de leur réseau de distribution physique, à l’image de Bruno Béé, directeur général de Cash Converters France.
L’enseigne prévoit de concurrencer les pure players du marché de l’occasion comme Ebay, Le Bon Coin et Facebook en créant une véritable complémentarité entre boutiques physiques – objectif 200 points de vente en 2022 – et offre digitale, en développant sa marketplace avec Wizaplace, un service Click and Collect ainsi que l’expédition des marchandises en point relais ou à domicile. En France, Cash Converters pèse 100 millions d’euros de CA, 5,5 millions de produits achetés et autant d’articles revendus. Avec sa marketplace, Cash Converters compte doubler son activité sur internet et réaliser 6% du CA en ligne avant de passer rapidement à 10%.
Augmenter la taille du catalogue produit grâce à la marketplace
Consciente que pour exister sur un marché de distribution spécialisée en pleine mutation, les 300 références magasin/e-commerce n’étaient pas suffisantes, l’enseigne Nature et Découverte a lancé sa marketplace en 2014 : extension de gamme, nouvelles catégories et meilleure disponibilité des articles en généralisant l’utilisation de tablettes avec terminal de paiement intégré, afin de faciliter les ventes en ligne … depuis les magasins ! L’entreprise a également investi sur l’adhésion de son personnel (80% des équipes étaient pour la fermeture de la marketplace au lancement) en dédiant 5% de la masse salariale à la formation. Sur les points de vente, le relais de la politique digitale est assuré par des volontaires qui améliorent la dynamique « store to web ».
Aujourd’hui, la marketplace compte une centaine de revendeurs et cinq fois plus de références qu’en point de vente physique. C’est le projet de l’entreprise qui a la meilleure rentabilité : « la marketplace représente une part du e-commerce à deux chiffres et enregistre une croissance à trois chiffres » selon Hugo Perpère, directeur digital de Natures et Découvertes.
Loin de s’arrêter là, l’entreprise envisage le développement d’une marketplace de services fin 2018, dans le cadre de la refonte totale du site e-commerce, en consolidant une offre de services fragmentée (yoga, balades à dos d’âne ou encore activités bien-être, famille et outdoor).
Se diversifier avec la marketplace pour un offre toujours plus large et attractive
Créée en 2009, la marketplace de la Fnac qui compte plus de 2 000 vendeurs, propose 15 catégories de produits très éloignées de l’électronique et des biens culturels. Articles jardin, literie ou accessoires de mode, l’objectif de cette diversification pour l’enseigne est de présenter un catalogue en ligne plus large et plus attractif à ses clients, afin de contrer le déclin des ventes de produits éditoriaux dû à la dématérialisation : -2% de ventes de livres et -17% de vidéos, sachant que 40% du CA de la FNAC était réalisé en 2013 à travers ces produits éditoriaux. Le rachat de Darty par l’enseigne en 2016 a été l’occasion de valider cette stratégie de diversification en renforçant sa position sur les objets connectés et le petit électroménager.
La Fnac a complété sa diversification par la mise en place d’une expérience utilisateur unique, basée sur la complémentarité d’Internet avec les points de vente physiques pour le conseil, la livraison et les services. Ainsi, l’hyperspécialisation est utilisée comme élément de différenciation : par exemple, des corners de marques sont installés en boutique – Apple, Bose, Samsung et SFR – avec leurs propres vendeurs permettant de passer facilement des commandes sur la marketplace depuis les magasins.
La force de vente en boutique physique utilise donc la marketplace pour faciliter les ventes, l’ensemble du réseau contribue à fournir une livraison sur mesure (coursiers, choix de créneau, Click and Collect, corners croisés Fnac Darty …) et le mobile des acheteurs est repensé comme une extension du site web (repérage en magasin, informations produits, self check-out pour faciliter le paiement). Cette approche omnicanale induit une révolution culturelle et structurelle mais est essentielle pour appréhender le parcours du client et évaluer sa valeur économique afin de créer de la fidélité, de l’engagement et de la récurrence d’achat.
Avec 150 millions d’euros de volume d’affaires réalisés sur la marketplace en 2016, 121 magasins en France et une activité dans 9 pays, la FNAC est en 6ème position dans le top 10 des marketplaces en France.
Objectif : customer centric avec la marketplace
Les consommateurs sont de plus en plus exigeants en termes de qualité de service et de satisfaction immédiate. Afin de répondre aux attentes de ses clients, l’enseigne Galeries Lafayette s’est dotée depuis 2013 d’une marketplace. L’objectif était d’élargir rapidement et facilement son offre en ligne au-delà de la mode (secteurs beauté, linge de maison, décoration, cuisine et gourmet) et de déployer une gamme de services cross-canaux afin d’offrir à sa clientèle une expérience shopping totale et unique (avant, pendant, après) basée sur l’omnicanalité.
Par exemple, dans son nouveau concept store de Carré Sénart en région parisienne, l’enseigne teste une gamme de services physiques et digitaux, destinée à développer une relation de proximité, avant de l’étendre à l’ensemble de son réseau de distribution. La gestion en temps réel des stocks en magasin apporte au client un nouveau parcours d’achat, favorisant le web-to-store : service de e-réservation (réserver un produit en ligne, l’essayer sur place et l’acheter dans la journée) et Click and Collect à J+1 (déjà généralisé à l’ensemble des points de vente). A l’espace bagagerie, un showroom digital propose une offre très large (une centaine de références) où un comptoir digital permet de scanner un modèle parmi 4 marques pour en découvrir les divers attributs (couleur, de taille …) et acheter en ligne. La livraison se fait au domicile ou en magasin le lendemain. Cette solution rend aussi possibles le retour d’articles et le remboursement automatique et à distance des transactions faites en magasin. Afin de renforcer la synergie marketplace/boutique physique, la force de vente en magasin accompagne les clients en s’appuyant sur l’utilisation de tablettes pour consulter les stocks.
Autre point de vente, autre exemple : le magasin Haussmann s’est doté d’une application Web-in-store, permettant de géolocaliser les corners recherchés parmi 3 500 marques, ainsi que les espaces restauration, commodités et lieux d’information. Un gain de temps inestimable !
La marketplace des Galeries Lafayette a permis de porter l’offre en ligne à 1 200 marques et 400 000 références (+70 marques et + 60 000 références via la place de marché). Le revenu e-commerce a progressé de 10% la première année et la marge a doublé.
Pour exister demain, les retailers devront plus que jamais se différencier et offrir une expérience d’achat et un niveau de service élevés en créant une synergie omnicanale entre boutiques physiques et e-commerce propre à chaque enseigne. Complément de gamme, mise en compétition de l’offre, diversification … autant d’approches offertes par le modèle marketplace qui accompagneront une gestion des stocks précise et une expérience client unique. La marketplace représente un vrai levier de croissance qui doit être utilisé avec cohérence dans les univers de produits, sans concurrence débridée sur les prix et avec une stratégie de projection concrète dans les magasins physiques, pour se positionner au service des clients, d’abord mais aussi de l’ensemble de l’enseigne.